lundi 26 octobre 2009

Le Musée des Hospices Civils de Lyon, un endroit où l'on ne meurt pas trop

Le Musée des Hospices Civils de Lyon est un musée présenté comme étant « dans son jus » et c’est cela que l’on sent, en l’occurrence au cours d’une visite collective, en le parcourant. Pour le domaine des sensations.

Encore que « jus » soit un concept plutôt imprécis, qui se rapporte sans que l’on sache trop comment à une combinaison des poids des choses et du temps. Deux poids qui s’entremêlent et tombent, comme ça, devant nous, et surtout autour de nous ce qu’une reconstitution 3D HD ne parviendrait pas à faire, cependant : il y a bien une dimension de simulacre, dans cette histoire.

Bon, pour faire rapide le « jus » renvoie davantage à l’orgueil du musée à travers son panégyrique phantasmatique, quelque chose comme cela : miroir ô mon miroir.

Alors on se promène au milieu de ces objets uniques et de ces collections uniques, tous et toutes très beaux et très belles, sans parler des tableaux et… eh oui, tiens, des tableaux. Des tableaux ? Hospices Civils… Tableaux… Mais… quel rapport ?

A force de circuler dans un espace muséal passablement caricatural d’un genre passé de mode, en somme presque un musée de musée à ses dépends, patrimoine d’une muséalité passée de mode, on en oublierait de quoi il est question : d’Hospices Civils.

Plus encore, à force de faire face à des objets uniques et beaux, qu’accessoirement il n’y a pas la place de mettre autre part, ce rapport fétichiste qui mène directement à se penser des phrases comme « quelle chance d’avoir tout ça », « faudrait pas que ça disparaisse », « j’espère que les moyens sont là pour conserver ces collections », oublie tout simplement de se questionner sur des aspects bassement muséologiques.

Au bout d’un moment, quand même, on sort de ce confinement rassurant que nous propose le musée, pour ma part au détour d’un énième « qu’il est beau ce tableau ! » et alors que je commençais à m’ennuyer quelque peu et prêt, comme il sied en ces circonstances, à délirer un peu sur le dispositif.

Je veux dire : on soignait des gens, là, certains mourraient, d’autres guérissaient, il devait bien y avoir une certaine organisation, des techniques employées, des mots échangés, des rapports entre les gens, des images auxquelles patients comme médecins se raccrochaient. Bref : Foucault, merde ! De cette réalité sociale, on ne sait rien.

Je dis ça comme ça, pas que je tienne à ce type de muséographie en particulier, c’est juste mon premier réflexe pour reculer quelque peu, mais avec un certain effroi, de ce que je découvrais. Ce musée est un peu comme celui des entreprises : on imagine mal le musée de Renault être autre chose qu’un moyen de communication sur la marque, qu’un musée à sa gloire ! Mais déjà là, on peut se demander en quoi une telle muséographie est à la gloire des Hospices Civils. Enfin, sans doute cela fait-il sens pour leurs mécènes.

Autrement dit, le musée représente les Hospices Civils, et déjà le procédé de représentation et la représentation posent question. Plus loin, bien sûr, le fait qu’il les représente pose question à lui tout seul, puisque cela ne va pas de soi : pour fonctionner autrement il faudrait qu’il se désolidarise de cette domination pour, par exemple, se positionner comme instance tierce, donc autonome et capable d’intentionnalité propre au lieu de n’être que vitrine-réceptacle de l’image orgueilleuse d’une institution bi-séculaire à travers sa grandeur patrimoniale. Je dis cela simplement parce que je pensais que le but d’un hôpital était de soigner, mais, dira-t-on, il suffit de visiter la mairie de Lyon, ou l’Elysée, pour comprendre en quoi le « jus » témoigne d’autre chose, d’une grandeur qui n’a rien à voir avec la fonction concrète, pas même exactement avec l’habitus, mais qui tire directement sur le patrimoine, oncques sur l’éternité, et qui me fait dire de suite : bon, d’accord on n’est pas du même monde ; alors on peut trouver ça dommage, mais à cette aune les saccages des lieux du pouvoir dans les révolutions se laissent aisément comprendre, quand en monarchie médiacritique on organise les journées du patrimoine, ce qui, sans que les liens entre ces deux faits soient parfaitement établis, est cependant singulier.

En fait, je ne vois pas du tout ce qu’un tel musée pourrait faire à l’avenir. Ce serait dommage de remiser tout ce qui est présenté, et en même temps ça ne va pas du tout. Chaque objet appelle au fétichisme, et en même temps il faudrait vraiment insérer un lien de médiation, une sorte de second degré. A la limite il en faudrait peut-être peu pour retourner le dispositif ; peut-être cela seul serait possible, juste en faisant un minimum de place. Il s’agirait d’encadrer à nouveau, dans un autre dispositif, le projet muséographique en place, pour qu’un nouveau projet le dise et le présente : ‘‘regardez, c’est comme ça que les Hospices Civils veulent se présenter’’. Une grande latitude serait possible dans cette subversion.

Pour en revenir au « jus », je crois que j’aurais préféré sentir celui des Hospices Civils que celui du musée. A part cela, il n’apprend rien et ne montre pas grand-chose. Une collègue a bien essayé de me faire croire, quand je lui disais ce qui me venait à l’esprit sur le moment, à savoir qu’on ne voyait et comprenait rien de la vie des patients dans l’hôpital, que « on voit les techniques, au moins, c’est déjà ça ». Je l’ai regardée avec de grands yeux en lui demandant des précisions parce que je n’avais pas dû suivre. « Mais si : les objets ! »

Je lui ai répondu qu’une technique est un geste et que je n’ai rien vu de tel dans le musée, mais au fond je suis d’accord avec elle s’il s’agit de dire qu’on peut bien rêver ce qu’on veut à partir d’un objet. Et tant qu’on est dans le fond, je dois dire que je ne supporte pas les hôpitaux, que les infirmières doivent se mettre à quatre pour essayer de me pomper un peu de sang et sans me casser l’aiguille dans le bras, et que je ne crois pas être à même de rêver gentiment (ou non) à partir des objets présentés dans le but d’une représentation mentale faisant preuve d’un minimum de probité sociologique. Je ne veux rien savoir, et ça tombe bien, à part des anecdotes qu’il sera toujours temps ‘‘en société’’ de replacer, je n’ai rien appris.

Finalement, mais je me dis cela sur le moment, je ne sais pas si le patrimoine n’est pas simplement la percée d’un autre temps dans le présent, à l’exclusion de toute contemporanéité. Une zone de repli, un lieu où méditer sans méditer, le crâne d’Hamlet sans la question qui va avec ; mais un lieu d’une certaine grandeur, une cathédrale et non pas une église moisie au fond d’une cave infestée par les rats ; et il fait calme dans ce lieu où l’on sent et se dit que l’on ne va peut-être pas trop mourir.

Et c’est étrange, oui, c’est étrange, de se dire cela dans un musée consacré à l’hôpital.

lundi 5 octobre 2009

(MdJ) Le musée des objets cassés

Le musée du jour est le musée des objets cassés, situé à Nice et créé avec une partie des bénéfices d'un film populaire ayant fait beaucoup d'entrées (pour une fois que ce cinéma-là commet une bonne action…).


 

Il présente une perspective thématique sur le fait d'être cassé, de casser, au sein d'un bâtiment lui-même cassé : un immeuble que la crise immobilière a laissé en plan, à moitié construit, qui pose déjà les bases d'une réflexion sur le fait d'être cassé avant même la construction et la casse entretenue par les marchés.


 

Une porte a été fabriquée avant d'avoir été cassée. Une ambiance de terrain vague, de squat, voire postatomique, règne le site : une ambiance de crise…


 

Des escaliers de bric et de broc assurent la transition à travers les multiples salles, dont la moitié est encore inexploitée. Cette multiplicité permet une réflexion approfondie sur le thème, incluant des approches artistiques et scientifiques, et permettant de régulières expositions temporaires.


 

On notera celle, remarquée, du peu célèbre artiste appartenant à l'école de Nice qui avait brisé l'urinoir de Duchamp à coup de marteau quelques années après avoir uriné dedans, et qui a été condamné par la justice pour ces gestes, l'institution judiciaire cassant donc ainsi sa carrière d'artiste ; également à voir l'exposition de Ben, niçois également, au sujet de son magasin, en un sens cassé (il se trouve maintenant, tel quel, au musée d'art contemporain de Lyon), et surtout autour d'une réflexion sur le cassage d'une carrière d'artiste par le système commercial publicitaire avec la complicité de l'artiste lui-même (Ben étant bien sûr complice dans cette réhabilitation).


 

Quelques salles, en outre, permettront de suivre en temps réel, et par une méthode de « cassage-refabriquage », comme dit le directeur, l'actualité d'un musée procédant lui-même de plusieurs cassages, pratiques ou théoriques : le Palais de Tokyo, à Paris.


 

En tout état de cause, tout au long de l'année bien des choses à découvrir dans ce merveilleux musée !


 

Le musée des objets cassés, 8 rue de l'Hôtel des Postes, 06000 NICE, France. Entrée libre sur don d'un « objet cassé » (objets immatériels, objets mobiles et objets naturels acceptés sur présentation d'une argumentation valide), sinon 4€, pas de tarif réduit mais gratuit pour les Brice.

lundi 3 août 2009

Alan Vega et Jean-Luc Mylayne au MacLyon

Alan Vega, Infinite Mercy

Grand espace pénombre. Lumières qui clignotent. Petits assemblages dans les coins, tas de contreplaqués, vitres collées enserrant dessins double face, grands panneaux entourant grand tableau kitsch d’un christ ombré i.n.r.i. sur fond rouge trois télés à ses pieds au fond bleu sans nouvelles du bon dieu.

Bricolage syncrétique d’une religiosité du fin fond d’un désert. JT Leroy Sarah ; quelque part au fin fond du centre des USA, ou au Nouveau Mexique. Les boui-bouis thaïlandais sur les routes de campagne, tables et chaises en plastique coloré, réfrigérateurs coca pepsi, fanions, télé, carcasses de mobylettes qui rouillent et soupes qui cuisent dans casseroles cabossées. A. : comme dans ces pays-là, en fait. Oui, mais je ne connais que la Thaïlande dans la série, je ne suis pas un collectionneur je ne prends que les exemplum.

Petits assemblages : des bouts de croix, avec des bouts de planches ou de cabanes ou de cagettes, défoncées, arrachées, assemblées, dans des postures étranges, quelque chose comme du ça gicle : il n’y a pas de sens. Petits machins, bouteilles de vodka, Goldorak, , images de boxeurs, de pin-up, capsules de bières, briquets, machins, ampoules partout rouge jaune orange violet, ça clignote (c’est là, vous êtes arrivés ; c’est ici, regardez ; ouh ouh, ou est là, y a quelqu'un ?). Sortes de bricoles de processions, talismans, il faut en assembler des trucs pour que ça fonctionne. Je me suis demandé si à chaque fois, hormis en général, il y avait un sens.

Dessins, des visages griffonnés, le stylo le crayon court sur la page A5. Et ça forme des visages, comme une sorte de miracle, un peu à la Michaux. « Ils sont tous affreux » dit une visiteuse, ça me rappelle mes dessins de marges de cours (« céé kii ? » mais personne, qu’est-ce qu’on s’en fout ?!). Collages, images de magazines, traits au crayon, vampires, porno, boxeurs, icônes kitsch très propres au christianisme, et j’en passe. Icônes, petits carrés noirs au centre collées des images de têtes de boxeurs, cognés, égratignés, et grattées les photos, recouvertes quelque peu : sorte de trace, d’impression, icône l’image qui vient de derrière l’image/surface opaque portraits du Fayoum, Saint Suaire, tout ce que le temps, l’usure, l’érosion a recouvert, et qui vient, qui apparaît, qui surgit quand même, comme remonté des eaux, comme apparaissant sur la pierre à la faveur de quelque réaction chimique obscure.

Ouverture sur la salle de rangement, caisses de transport contenants et devant nous une vitre, quelques lumières au sol, derrière, quelques objets avec, et un groupe de pèlerins le papier à la main devant la vitre écoutant benoîtement un jeune guide cool usant d’un langage familier rappelant que Vega « sait très bien les signes qu’il utilise », qu’il « n’est pas dupe du jeu qu’il joue », comme si le spectateur l’était, lui, du spectacle, du moins les participants de la procession artistique serrant fort le papier tous à la queue leu-leu. Un peu comme une chapelle ardente ; d’où ça tout ça vient, ça désamorce le truc et rappelle les trajets de diffusion de l’art, autoroutes bateaux avions des choses pas très kacher. Prions à notre façon devant ces cadavres, ces morts en attente de résurrection ça tombe bien c’est le dernier jour de l’expo un éclat de rire et un « putain » lâché.

Grands panneaux, à droite drapeau américain portrait d’un soldat comme détail d’une photo plus grande, soldat SS son insigne sur le col, encore drapeau encore soldat, trois ou quatre fois chacun alternativement, des guirlandes de petites lumières recouvertes de noir on voit une croix de lumière orange sur chaque petite lumière, ces crois sur le carré étoilé des drapeaux américains. A gauche boxeurs photos lumières housse de plastique tâchée de sang ? comme au début d’un sens de lecture et de l’exposition invitant à recouvrir un corps, si ce n’a déjà été fait, photo bleutée d’une housse de plastique je crois, tendue, recouvrant quelque chose mystère, mystère du corps ? Jésus au centre, i.n.r.i., peint très à plat, léché, peu coloré mais déjà kitsch, sur le fond rouge son ombre, trois télés à ses pieds, fond bleu d’une non-transmission, sainte trinité en berne.

Envie de rester un peu plus longtemps ici. Icônes reliques et plus encore, tous ces bricolages comme quoi tout est possible, lieu de culte sans résonance stellaire, paradisiaque, que sais-je. Infinite Mercy pour ceux qui ne connaissent que les coups, le sang, le béton, les néons, la culture matérielle, les comics et l’alcool, repères humains sur une terre désertique en deuil, déjà cimetière, des dents qui grincent, tout cela est très drôle et les cadavres dansent, au son d’une musique absente qui serait, peut-être, celle d’Alan Vega.


Jean-Luc Mylayne, Tête d’Or

Des grandes photos qui font comme des fenêtres.

‘‘Non mais il a quoi comme appareil ce type c’est fou t’as vu ?! Et y a même pas un pixel regarde ! Mais pourquoi qu’elles sont toutes brillantes on se voit dedans c’est nul ah si regarde cette série de trois celles qu’on dirait le jeu des 7 différences, de ¾ droite on voit la dame en reflet de plain-pied et cette autre photo sur le mur de gauche en reflet à moitié sur la 1ère et la 2ème photo, à mes yeux d’1m80 à peu près c’est les bonnes proportions c’est marrant non ?’’

Certaines photos feraient des bonnes cartes postales, certaines à l’étage du dessus m’évoquent même, excusez-moi, cette horreur des bébés, Anne Giddens machin là, celle des pommes pourries en gros plan je parle.

Il fait toujours beau dans ces photos, et au 1er étage des petits oiseaux partout, les bruits des pas des visiteurs grillant sur le parquet se transforment en chants d’oiseaux ça pépie c’est joli, c’est étrange, c’est léger, agréable, je resterais bien un moment dans cette exposition aussi. A. : ça c’est que dans ton imaginaire ! Ah bon ? Sans blague.

A. : c’est chiant les gens ils sont collés aux photos, c’est pénible, on dirait des mouches ! Oui, c’est vrai. Mais avec tous ces petits oiseaux, remarque c’est peut-être fait exprès, pour donner à manger aux oiseaux.

A l’étage du dessus des pommes pourries, feuilles d’automne, petits oiseaux sur vieux murs comme en ruine, je sens l’odeur des petites pommes pourries, ça me rappelle quand j’étais petit le jardin d’un ami, cette odeur dans toute la salle. En retrait près de la sortie une sorte d’exemplaire de collectionneurs sous verre, à gauche écrits de la main de l’artiste des mots pour l’authenticité, à droite une photo petite, photocopiée couleur, et vraiment très dégueu.

Petite pièce quatre murs la même photo sur tous les murs, c’est assez angoissant, pareil le truc en rond qu’on se met au centre, pas un continuum comme au musée Lumière mais plusieurs photos, toujours la même sauf qu’une fois c’est pas sur du carton mais sur du verre en transparence, et là encore c’est angoissant. Et petite salle noire avec une image de pomme pourrie en 3D, comme au musée Lumière, monsieur remonte aux origines de l’image en mouvement, le temps, la mort, tout ça, ne dirait-on pas d’ailleurs une sorte de cerveau ?


Retour, A. dit qu’elle trouve ça pédant, l’art contemporain, rien que la voix de la caissière, et puis c’est cher, 4€ pour étudiants comme Gadagne c’est gratuit, mais Gadagne aussi c’est chiant à part les marionnettes, peut-être encore déçue d’hier Gadagne. Et puis des grandes pièces qui ne servent à rien c’est fou, on pourrait mettre des clochards, que ça serve au moins ! Et ce stade, regarde, t’en vois souvent des courses de vélo là ? A. : C’est pas pareil, c’est pas fermé, là. Des amphi de fac la nuit, alors ? A. : Oui, c’est le même principe. J’ai bossé dans le coin un an, je m’y attendais au musée, et aux expos je n’attendais rien, je ne me rappelais même plus de celle de ce Vega. Mais le musée je l’oublie. Là ce qui est bien c’est qu’il n’y a pas vraiment de mise en scène, de projet muséographique, t’as pas le sentiment qu’on te prend pour un con comme souvent, peut-être pas Gadagne mais l’expo sur les Impressionnistes à Grenoble par exemple, tu sais quand tu n’as pas confiance dans le contenant alors tu essaies surtout de le comprendre, de le saisir, pour désamorcer cette prise sur toi, mais là non pas pour moi, et je ne trouve pas que ce soit pédant. A. : Oui, voilà, mais je trouve toujours que l’art contemporain c’est pédant, sans petites étiquettes, rien. Et ces bricolages en fait, les chambres des étudiants en art c’est de l’art alors, parce qu’il y a plein de choses comme ça ?! Ben faut quand même que ce soit reconnu, tout un monde de l’art à sanctionner quelques objets, mais chez Vega ça a plus de sens quand même, fait pas ta tronche sourit regarde il fait presque beau. A. : 4€ quand même… C'est le pric d'un MacDo, aussi. Et moi j’ai pas du tout pensé à prendre la feuille des impôts, c’aurait été gratuit. A. : Et les gardiens ils lisaient Mort aux cons. Ah bon ? C’est quoi ? A. : Un truc drôle, je crois. Ah. Et tu veux quoi comme glace ?

 
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